Piraterie et trafic maritime international en mer Rouge par Bernard Antoine Rouffaer Depuis quelques semaines, des incidents violents se produisent à l'extrémité de la mer Rouge, près du détroit de Bab el-Mandeb, qui relie cette mer presque fermée au golfe d'Aden, donc à la mer d'Arabie et à l'océan Indien. Une des factions politiques qui se battent pour le pouvoir au Yémen, les Houthis, probablement autant pour montrer sa solidarité avec le malheureux habitants de Gaza que pour aider leur allié iranien, harcèlent le trafic maritime civil international qui passe au large des côtes du pays. Utilisant des drones, des missiles, des raids de vedette et des commandos héliportés, les combattants houthis se livrent à ce qui a été qualifié depuis toujours de « piraterie ». La piraterie est une vieille pratique, sur toutes les mers du monde. A côté de pirates de profession, a toujours existé des pirates d'occasion, honnêtes pêcheurs ou marchands qui se transforment en criminels pour profiter d' une proie facile. Le sinistre exemple du martyr des boat peoples vietnamiens, fuyant pas mer le régime communiste à la fin des années 70, en mer de Chine, l'illustre bien. La mer Rouge a très souvent été une zone d'activité pour des pirates de diverses origines. Un flux commercial maritime régulier existe entre l’Égypte et l'Inde depuis la période hellénistique, soit depuis plus de 2000 ans. Les longues côtes de cette mer presque fermée abritent depuis tout aussi longtemps des populations pauvres, vivant difficilement de terres arides, qui peuvent être tentées de s'en prendre aux vaisseaux de commerce porteurs de riches cargaisons. Tous les grands États qui ont dominé cette région ont dû lutter contre ces actes de piraterie. Les marines de l’Égypte ptolémaïque, de l'empire romain, de l'empire byzantin, des empires arabo-musulmans successifs (abbasside, puis fatimide, ayyoubide, et enfin mamelouk), celle des Ottomans aussi, ont tous été engagées dans ce combat sans fin, mais extrêmement nécessaire, pour conserver praticable cet axe commercial de la mer Rouge. Après 1800, le développement des possessions britanniques en Inde, l'accroissement de puissance de cette nation, et l'établissement d'un régime fort en Égypte, entretenant de bonnes relations avec Londres, celui de Méhemet Ali, a permis l'établissement d'une voie de passage terrestre, pour les passagers et les marchandises, entre la Méditerranée et la mer Rouge. Avec le percement du canal de Suez, grâce à l'entreprise de Ferdinand de Lesseps, entre 1859 et 1869, cette voie maritime de la mer Rouge par l’Égypte, a connu un énorme accroissement de son importance. La mer Rouge n'était plus fréquentée que par des boutres et des baghallas locaux, assurant le transport des pèlerins vers La Mecque, ou le service commercial vers l'Inde, mais aussi, désormais, par le trafic postal régulier vers les empires coloniaux européens, et celui des passagers en transit vers toute l'Asie maritime. Et elle concernait désormais toutes les puissances maritimes d'Europe, au point d'inquiéter le sultan ottoman de cette époque, Abdülmecid, et lui faire donner l'ordre à son armée d'occuper toute la côte de l'Arabie, de l'actuelle Jordanie jusqu'au Yémen. Mais tout cela n'a pas éteint la piraterie, que la configuration complexe du rivage et le caractère guerrier des tribus qui le peuplaient alimentait. Bien entendu, la proximité des côtes de l'Afrique avec celles de la péninsule arabique nourrissait un trafic de contrebande, souvent esclavagiste, important et permanent. L'actuelle confrontation entre, d'un côté, la marine de guerre des USA et celle du Royaume-Uni, accompagnées de vaisseaux d'autres nations, et celle des miliciens houthis, a donc de lointains et nombreux antécédents. Il ne faudrait pas donner une importance excessive à ces duels, tant l'Histoire, dans cette région, est riche de ce genre de passes d'armes. Il n'y aura pas de Troisième Guerre mondiale pour une affaire de cargos détournés. Pour ce qui est du nucléaire iranien, évidemment, c'est une autre affaire. Pour ne donner qu'un seul et amusant exemple de cette addiction régionale à la piraterie, j'évoquerai, pas très loin de la mer Rouge, les États de la Trêve, ancien nom des actuels territoires, désormais scandaleusement riches et très policés, des Émirats Arabes Unis, dont Dubaï fait partie. Pourquoi ce nom étrange de États de la Trêve ? De la trêve avec qui ? Et pourquoi ? Mais, simplement, parce qu'avant l'intervention brutale et décisive de la marine britannique entre 1819 et 1820, cette région du golfe Persique portait un autre nom : la Côte des Pirates... C'est beaucoup dire. J'y reviendrai. En attendant, je vous conseille la lecture des passionnants ouvrage du français Henry de Monfreid, qui, au début du 20e siècle, se fit navigateur et, lui aussi, contrebandier en mer Rouge. Bonne lecture. 16 janvier 2024 B.A.Rouffaer, auteur, éditeur, cofondateur du parti politique suisse Les Indépendants vaudois |
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