Orbie Terrae, club de réflexion




Des menaces militaires russes dirigées contre l'OTAN : coup de poker désespéré ou stratégie machiavélique ?
par Bernard Antoine Rouffaer


Les pays de l'OTAN bruissent désormais de rumeurs et d'inquiétudes produites par les menaces militaires directes que la Russie ferait désormais peser sur l'Europe. Que faut-il en penser ? Électrochoc nécessaire pour éveiller les consciences de politiques européens endormis par 30 ans de paix et de diminution des budgets militaires ? Réel coup de poker moscovite en préparation ? Acte de désespoir d'une direction politique russe enferrée dans le bourbier ukrainien et qui ne verrait que la fuite en avant pour se trouver une issue ? Véritable démonstration de puissance d'une Russie armée désormais d'une économie de guerre efficace ?

Que la Russie bande toutes ses forces pour réussir à produire une armée de campagne opérationnelle, aux effectifs suffisants, pour tenter de l'emporter en Ukraine ne fait aucun doute. Mais que cet énorme effort, qui capte une large partie des dépenses de l’État russe, parvienne à ses fins, c'est une autre histoire. Personne ne ressuscitera les très nombreux officiers qualifiés morts en 2022 et 2023. Or, sur le champ de bataille, sans un corps d'officiers expérimenté, point de salut. C'était vrai au temps de César, ça l'est encore plus aujourd'hui. Personne ne reconstruira tous les véhicules de combat modernes réduits à l'état d'épaves qui jonchent les plaines de l'Est. Tout au plus parviendra-t-on à tirer d'arsenaux décrépis des carcasses rouillées et incomplètes datant de l'ère soviétique pour les retaper et les repeindre avant de les expédier au front. La guerre moderne dévore les équipements de haute technologie à une allure terrifiante. L'industrie russe n'est, pas d'avantage que celles des pays de l'OTAN, capable de les produire au rythme où Mars les démoli.
Imaginer donc que la Russie, incapable de dompter la petite Ukraine, sera bientôt capable de triompher, ou de seulement impressionner, les nombreux et riches pays, au potentiel militaire intact, qui forment l'OTAN est un rêve éveillé.

Je suppose donc que la raison de ces chimères est politique. Qu'elles concernent la politique intérieure russe d'abord, et la grande politique mondiale ensuite, sautant par-dessus l'OTAN et l'Europe de l'Ouest.   

Au stade où Vladimir Poutine en est arrivé, il n'a guère plus qu'un but : sauver sa tête,  politiquement, donc, et, parce que la Russie est la Russie, physiquement. C’est une sorte de fuite en avant. Créer une crise militaire directe avec l’OTAN peut lui permettre de mobiliser le patriotisme des Russes. Pour guerroyer en Ukraine, l'homme du peuple ne s'avance guère ; mais pour défendre sa patrie menacée par une formidable coalition de nations puissantes et bien armées, il pourrait répondre présent. Miser sur le bon fond du peuple russe est probablement la dernière chance de Vladimir Poutine. Mais c’est extraordinairement risqué.
La Russie ne s'est pas effondrée économiquement suite aux sanctions occidentales de 2022. Elle en a pâtit, sa jeunesse la plus prometteuse s'est exilée, ses ventes d'armes extérieures se sont effondrées, les meilleurs clients de son industrie gazière et pétrolière se sont détournés d'elle, son industrie aéronautique civile est au point mort, ses importations de haute technologie presque taries. Lui reste ses exportations de matières premières, destinées à tous ceux qui, de part le monde, ne s'inquiètent guère de son impérialisme. Et c'est là que réside le talon d'Achille économique de Moscou.

Ses clients étant désormais, pour l'essentiel, outre-mer - en Asie du Sud, en Asie Extrême, en Amérique Latine, en Afrique - une très large partie de ses exportations de matières premières doit passer par la voie maritime. Or cette voie maritime est presque entièrement contrôlée par l’OTAN (mer Noire, détroits turcs, mer Baltique, détroits danois - et voilà nos Danois…-, Atlantique, Pacifique, mer du Japon, …) et ses alliés proches. En cas de confrontation militaire directe avec l'OTAN, la Russie n’a aucun moyen d’empêcher par la force une rupture de ces routes de mer, soit un blocus maritime. L'OTAN regroupe les marines les plus puissantes et expérimentées du monde : USA, Grande-Bretagne, France, ... La flotte russe, traditionnellement divisée entre ses nombreuses mers séparées (mer Blanche, mer Baltique, mer Caspienne, mer noire, Océan Pacifique, mer du Japon), ne fait pas le poids. Dans leur confrontation avec la « non-marine » de la République d'Ukraine, les flottes russes de la mer Noire et de la Caspienne ont échoué. C'est dire. La Russie, donc, aurait toujours autant de matières premières à vendre, mais fort peu de moyens de les acheminer vers ses clients.
En outre, en cas de crise militaire majeure entre l’OTAN et la Russie, continuer à importer des produits russes, pour un pays tiers, constituerait un geste de défi grave face aux puissance occidentales, désormais sous les armes. Et donc hautement irritables et agressives. Si cela ne poserait pas de problème à la Chine, dans le cas du Brésil, de l’Afrique du Sud, de l’Inde, et de multiples petits pays, une telle décision devrait être très contestée en interne. Une crise militaire avec l’OTAN signifierait donc une asphyxie progressive de l’économie russe.

Une asphyxie l'économie russe, mais aussi, de par la baisse mondiale de production de matières premières essentielles à l'activité humaine, de l'économie mondiale elle-même. Et c'est là, peut être, que réside la cause profonde de ces menaces, militairement ineptes, dirigées contre l'Europe de l'Ouest : Moscou doit, pour réussir à obtenir une paix pour elle acceptable, impliquer les puissances neutres de cette planète. Le Brésil, l'Inde, la Chine, doivent, pour le Kremlin, peser sur le cours des événements pour permettre à la Russie de se tirer sans trop de honte et de dégâts du guêpier ukrainien. Et sauver, par là, la tête du dirigeant russe.

C'est risqué, mais c'est jouable.

10 février 2024

 

B.A.Rouffaer, auteur, éditeur, cofondateur du parti politique suisse "Les Indépendants vaudois"
 







LIENS:

Retour à la Page d'Accueil

copyright @ Orbis Terrae 2024