La Russie est-elle invincible ?
par Bernard Antoine Rouffaer

La Russie est-elle invincible comme affecte de le croire le président russe Vladimir Poutine ? Je m'empresse tout de suite de le dire : certainement pas.
L'un des arguments officiels avancés pour justifier le militarisme et les armements extraordinaires de l'URSS (1917-1991) était précisément que le territoire du pays, dépourvu de reliefs, rendait son invasion aisée... C'est dire.
Et le passé militaire de la Russie nous montre que de tels événements se produisirent fréquemment. Historiquement, les ennemis de la Russie furent les peuples nomades de la steppe (Petchénègues, Coumans, Mongols, ...), l'empire de Perse, l'empire ottoman, le royaume de Suède, la république polonaise. Et chacune de ces puissances réussit, seule, à vaincre l’État russe, certaines plusieurs fois de suite.

Voici une liste, incomplète, des plus grandes défaites de la Russie de Moscou (car il y eut d'autres Rus', de Kiev, de Tver, de Pskov, de Vladimir, de Novgorod, ...) :

La prise et le pillage de la ville de Moscou, ainsi que le massacre de sa population, par une armée mongole appartenant à la Horde d'Or, menée par le khan Tokhtamych en 1382.
La prise et le pillage de Moscou par la cavalerie des Tatars de Crimée à la suite d'un raid mené par leur khan, Devlet 1er Giray, en 1571.
Les interventions polonaise en Russie (1605-1618), à l'occasion du Temps des troubles, période d'incertitude dynastique et de conflits internes en Russie de Moscou, qui permirent aux troupes polono-lithuaniennes d'entrer dans cette capitale en 1610, après leur victoire à la bataille de Klouchino. Cette période de faiblesse permit au royaume de Suède d'imposer à Moscou, en 1617, le traité de Stolbovo, qui lui donna la province d'Ingrie et la forteresse de Schlusselburg, achevant ainsi de priver la Russie d'un accès à la mer Baltique.
La 4ème guerre russo-turque (1710-1711), qui s'acheva pas la défaite de la Russie (bataille de Stanilesti) et le traité du Pruth, qui fit perdre à Moscou, au profit de l'empire ottoman, le port d'Azov et un certain nombre de forteresses frontalières.
La campagne d'Autriche de 1805, qui vit l'empire russe, allié à l'empire d'Autriche et au Royaume-Uni au sein de la Troisième coalition antifrançaise, subir la défaite d'Austerlitz.
La Guerre de Crimée (1853-1856) qui opposa l'empire de Russie à une alliance formée de l'empire ottoman, du Royaume-Uni, de l'empire français et du royaume du Piémont. Elle se termina par la prise de la base stratégique russe de Sébastopol, en Crimée, et la destruction de la flotte russe de mer Noire. Moscou sortit de ce conflit avec l'interdiction d'armer une flotte importante dans cette mer.
La guerre russo-japonaise de 1904-1905, entre l'empire des tsars et l'empire du Japon. Les deux États se disputaient la suprématie en Mandchourie et en Corée. Moscou, vaincue, y perdit toutes ses possessions et sa sphère d'influence en Chine et en Corée, et y laissa la majeure partie de sa flotte de guerre.
La Première Guerre mondiale (1914-1918), qui vit l'empire des tsars s'effondrer socialement et économiquement sous la pression du conflit. Les deux révolutions russes de 1917 laissèrent l’État russe exsangue et incapable de faire face aux offensives des Empires centraux (empire d'Allemagne, empire austro-hongrois, empire ottoman) qui lui imposèrent une paix carthaginoise à Brest-Litovsk en 1918.
La guerre polono-soviétique (1919-1921), qui fit perdre à Moscou, devenue capitale du communisme mondial, de larges pans de la Bielorussie et de l'Ukraine au profit de Varsovie.
La Guerre d'Hivers, entre la petite République de Finlande et l'immense URSS de Staline. L'armée finlandaise offrit une résistance si habile et si déterminée à l'Armée Rouge que le maître du Kremlin choisit d'arrêter les frais en échange de quelques compensations territoriales.

Non. La Russie n'est pas invincible !

Sa taille, la masse de sa population, ses armements toujours importants, son obésité donc, laissent penser qu'une victoire sur elle est hors de portée. C'est là une croyance populaire, née du souvenir des célèbres défaites de Napoléon 1er (1812) et d'Adolph Hitler (1941-1945) dans leur lutte contre l'empire des tsars et l'URSS.
Mais tous les observateurs attentifs du colosse russe – et ses voisins immédiats en font partie – savent que la taille et le poids ne font pas tout, qu'il faut allier à ces avantages l'agilité, l'esprit d'initiative, la rectitude, la probité, toutes qualités qui manquent à l'organisme administratif russe.
Qu'il s'agisse de l'empire des tsars, de l'URSS, ou de la Russie de Vladimir Poutine, le suivisme, le carriérisme, l'apathie, la routine, le culte des apparences, la corruption, ont toujours miné la puissance militaire russe. Moujiks enrôlés de force dans les régiments des tsars, et traités avec dureté, officiers plus soucieux de leur carrière que de l'efficacité de leurs unités, tendance à étouffer les incidents révélateurs mais fâcheux, culte du paraître, violences entre soldats d'une même unité, fantassins soviétiques envoyés à l'assaut sans espoir de survie, attaques stupides aux mêmes heures et aux mêmes endroits, absence de soins médicaux, détournements de fonds, alcoolisme,  absence d'instruction donné à la troupe, mauvais entretien du matériel, ... la liste des manquements, habituels dans les armées de la Russie, est si longue qu'elle explique en large partie le manque d'efficacité de ses énormes forces militaires.

L'offensive de l'armée russe contre l'Ukraine, en février 2022, en a fournit de beaux exemples : médiocre estimation du potentiel de guerre ukrainien, illusions quant à l'état d'esprit de la population ukrainienne, absence d'innovation tactiques, commandements donnés aux plus fidèle plutôt qu'aux plus habiles, manque de carburant, troupes informées au dernier moment de leur participation à une guerre véritable, matériels de guerre incomplets, équipements de dernière qualité, ...  Tout nous montre que les travers habituels de l'organisation étatique russe depuis des siècles sont scrupuleusement reproduits par les homme de pouvoir qui gravitent autour de Vladimir Poutine. 
Si les traditions bureaucratiques russes sont respectées, et tout nous montre qu'elles le sont à un degré élevé, alors la Russie, comme par le passé, peut être militairement vaincue.

Et il ne s'agit ici que du volet militaire du problème, Il en existe un autre, au moins aussi important : l'aspect politique. Si la Russie peut être désarçonnées militairement, elle peut aussi être mise à terre politiquement. C'est ce qui lui arriva en 1917, en 1991, faillit lui arriver en 1941. J'y reviendrai.

  17 février 2024




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