La première victoire de Vladimir Poutine ?

par Bernard Antoine Rouffaer


Depuis le début de sa guerre contre la République d'Ukraine, le président russe enchaînait les déconvenues. Sa belle armée de temps de paix, commandées par une pépinière de jeunes officiers prometteurs et équipées du meilleur de ce que l'industrie d'armement russe pouvait produire s'est transformée en un mélange de cimetière et de casse automobile. Sa belle flotte de la mer Noire, orgueil de la Russie depuis Catherine la Grande et épée du Kremlin face à la Turquie en a été réduite, sous les coups répétés des aviateurs et des pilotes de drones ukrainiens, à se réfugier dans les ports de la côte du Kouban, abandonnant ainsi la belle Crimée, objet principal de la lutte entre Kiev et Moscou. La facile mine d'or que représentaient les riches économies d'Europe de l'Ouest pour son industrie d'exportation d'hydrocarbure et de gaz s'est évaporée, contraignant Moscou à rechercher ses nouveaux clients à l'autre bout du monde. Les neutres et prospères Suède et Finlande ont rejoint l'OTAN, transformant la mer Baltique, voie obligée d'une large partie des exportations russes, en « lac occidental », désormais franchement hostile. Les pays d'Europe de l'Ouest, assoupis depuis la chute du Mur de Berlin, en 1991, dans une insouciance digne des délices de Capoue, savourant mollement les « dividendes de la paix » en taillant dans les budgets militaires, se sont soudainement réveillés, augmentant massivement leurs dépenses d'armement et fouettant leurs industriels pour qu'ils produisent le plus vite possible canons et obus.
Bref, V. Poutine pouvait apparaître comme un mélange accompli de nostalgique inadapté, d'immolateur et de dilapidateur.

Heureusement pour lui, car il doit y avoir un dieu pour les autocrates maladroits, c'était sans compter sur un groupe d'individus au moins aussi stupides et arrogants, j'ai nommé la classe politique des USA.


Depuis 1941, et leur entrée (un peu contrainte) dans la Seconde Guerre mondiale, Washington - ses ressources économiques illimitées et son industrie de l'armement colossale - apparaissait aux yeux du monde comme LE protecteur des démocraties contre les divers impérialismes, celui des États communistes en tout premier lieu. De 1942 à 1945, l'armée américaine avait contribué à libérer la France, l'Italie, les Pays-Bas, l'Autriche, les Philippines, la Chine nationaliste, la Corée, les archipels du Pacifique, ... des griffes de l'Axe. Après 1945, la ferme main des USA s'était manifestée en Corée (1950) au Vietnam (1950), au Laos (1950), en Iran (1953), au Guatemala (1954), au Tibet (1954), au Liban (1958), à Cuba (1961), en République Dominicaine (1965), ... Toutes les nations colonisées, dès 1942, de l'Inde à l'Afrique, en passant par l'Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient, avaient pu bénéficier de la bienveillance de Washington pour atteindre à l'indépendance politique et faire ainsi disparaître les empires coloniaux de ses alliés de la guerre, britannique, français, belge et néerlandais. Face à la menace représentée par les innombrables divisions de l'Armée rouge et de ses alliés, la puissance militaire américaine était le môle de la défense de l'Europe occidentale, et l'OTAN un outil entre ses mains pour protéger et dominer de très consentants alliés. Bref, Washington était le pilier indépassable du Monde Libre, le rocher inamovible qui stoppait les machinations des puissances communistes.


Ce n'est plus vrai.


L'année 2024 nous apprend que, en période électorale, Washington n'est plus ce rempart infranchissable, cet arsenal inépuisable, cet espoir vivifiant des peuples luttant pour leur liberté. C'est juste un merdier politique comme les autres, dont les acteurs, insensibles aux malheurs de leurs alliés, estiment à haut prix la voix de l'électeur du Missouri ou de l'Indiana, et jettent par- dessus bord les devoirs militaires liés à leur statut de superpuissance du Monde Libre.


L'Ukraine, qui permettait aux USA de gagner la Troisième Guerre mondiale sans avoir à la faire, n'a plus reçu, depuis le début de cette année jusqu'au 12 mars, ni obus, ni missile, ni tank, ni dollar. Ceci pour cause d'imbroglio politicien entre Républicains et Démocrates. Que les soldats ukrainiens se débrouillent. Ce n'est que le 12 mars seulement qu'une aide 300 millions de $ a été débloquée, une misère en période de guerre de haute intensité. Et rien d'autre ne semble devoir venir des USA avant longtemps. Changement d'époque, changement de règne.


Depuis le début des temps, la constance et la fiabilité sur le champ de bataille sont les qualités les plus prisées parmi les hommes d'armes. Du chasseur paléolithique au chef de char de 1944, en passant par le légionnaire romain ou le chevalier médiéval, pouvoir compter sur un compagnon d'armes est LA qualité indépassable, celle qui vous sauve des coups de l'ennemi. Ou, si elle manque, vous fait périr.


Les USA, depuis 3 mois, manquent à leurs alliés européens, qui regardent l'Ukraine comme l'ultime bastion avant l'affrontement direct et meurtrier avec l'Ours russe. Washington déserte le champ de bataille. Elle abandonne ses alliés dans la tourmente. Pire encore, Elle demande à Kiev de retenir ses drones, de peur que les frappes ukrainiennes sur les raffineries de pétrole russes ne fassent monter le prix de l'essence pour le très précieux électeur américain.


Une fissure est apparue dans l'édifice de l'OTAN, autrefois bâti sur la certitude de l'appui militaire américain.


C'est une victoire indiscutable – et inattendue – pour le président russe. Je l'imagine heureux ; et un peu soulagé.



 7 avril 2024

B.A. Rouffaer, auteur, éditeur, cofondateur du parti politique suisse des "Indépendants vaudois".





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