Reverdir le Rojava
Note de lecture à propos de Make Rojava green again
de Pierre Bance
Fondée en 2017 pour insérer les militants étrangers rejoignant le Rojava, la Commune internationaliste est un modèle de village écologique et de solidarité agricole. Dans cette optique, elle entend être aussi une « académie » destinée à former les internationalistes et la population du Rojava « à la conscience et la préoccupation pour l’environnement », et un laboratoire pour « construire une société écologique ». Parce qu’« il manque aujourd’hui une conscience environnementale partagée par toute la population », elle lance une campagne soutenue par la Fédération démocratique de la Syrie du Nord et de l’Est dont la brochure Make Rojava green again rend compte.
Cette brochure soignée dans sa composition et son illustration pourrait faire penser à celles dont l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) inondait le monde dans les années 50 et 60 du siècle dernier. Mais le rapprochement s’arrête là. La Commune internationaliste, même si elle collabore avec l’autorité politique, ne cache rien de la réalité écologique au Rojava et des insuffisances de l’administration. Elle dresse un état des lieux, propose et agit.
Retour sur le Contrat social
Bien que la Commune internationaliste n’aborde pas la question sous l’angle institutionnel, un retour sur le Contrat social de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord permet de mieux situer son travail militant dans l’œuvre de transformation sociale. Dès son article 2, le Contrat social déclare que la Fédération « est basée sur un système démocratique et écologique ainsi que sur la liberté de la femme ». La démocratie est le « moyen de réaliser l’équilibre entre économie et écologie », complète l’article 57. Comme dans de nombreuses constitutions étrangères et traités internationaux, on trouve, dans ce texte, l’idée selon laquelle « la vie et l’équilibre écologique doivent être protégés » parce que « chacun a le droit de vivre dans une société écologique saine » (articles 76 et 32).
Au-delà des déclarations de principe, le Contrat social enjoint à la Fédération de garantir au citoyen un milieu vital. Elle permet, en outre, au Conseil du Contrat social (le juge constitutionnel) de censurer les lois qui ne se conformeraient pas aux impératifs écologiques, et aux juridictions de contrôler les actes administratifs qui touchent à l’environnement.
Certainement leur tâche aurait-elle été facilitée s’il avait été fait mention du changement climatique, de la protection de la biodiversité comme de l’interdépendance des différents paramètres d’un environnement équilibré, ainsi que du principe de progressivité pour empêcher tout retour en arrière sur les normes environnementales.
Un environnement déplorable
On aurait pu s’en tenir là. Constater que la sûreté écologique devient un droit fondamental qui, avec le temps, s’agrègera aux droits de l’homme. Et conclure que le Contrat social, sur cette question, est dans la norme internationale. Le livre de la Commune internationaliste montre que ce serait oublier que les Kurdes, au moins les plus politisés, sont élèves de Murray Bookchin et d’Abdullah Öcalan, qu’ainsi, il faut raisonner au-delà du texte pour en comprendre la philosophie, celle de l’écologie sociale, du municipalisme libertaire et du confédéralisme démocratique. Ils ne se satisferont pas, à long terme, d’une écologie régulatrice serait-elle la meilleure possible. Pas plus qu’ils n’imputeront, comme le fait l’écologie profonde, la responsabilité des désordres écologiques à la technique elle-même, au lieu des instances économiques et étatiques qui l’utilisent.
Jamais citée en tant que telle dans le Contrat social, l’écologie sociale est pourtant là avec son projet de communes autosuffisantes et fédérées. Elle ne se contente pas de dire que la liberté d’entreprendre ne saurait prévaloir sur la protection de l’environnement, elle somme l’homme, maître de son destin, de changer le système politique et économique dévastateur. Il n’y a pas d’alternative. La Fédération démocratique de la Syrie du Nord et de l’Est ne se substituera pas à la vigilance écologique et aux efforts de transformation politique de chacun de ses degrés : régions, cantons, districts et, en première ligne, les communes. Son rôle devrait se limiter à la mise en place d’une coordination de l’action et des capacités humaines, matérielles et financières.
Quand il est écrit à l’article 9 du Contrat social :
« Le moyen de construire une société démocratique et écologique qui ne pille, ni ne détruit l’environnement est la vie démocratique, écologique et sociale », il faut comprendre que c’est par une révolution écologique participative que le capitalisme sera surmonté. Néanmoins cette révolution s’inscrit dans le temps long, car la réalité de l’instant commande de composer avec la puissance de la modernité capitaliste mondialisée.
À titre d’exemple, le Contrat social autorise l’investissement dans des projets privés « à condition que ces projets respectent l’équilibre écologique » (article 42). De même le droit de propriété est garanti « sauf s’il contredit l’intérêt général » (article 43). À ce premier stade, l’écologie n’est pas pensée contre le capitalisme mais comme limite à un capitalisme destructeur de la nature et de la santé de l’homme.
Tout en soulignant les responsabilités du capitalisme, la Commune internationaliste explique qu’il n’en est pas seul responsable. La brochure montre en détail que la politique menée par l’État syrien y a contribué par une surexploitation coloniale des richesses locales. Que les destructions et sabotages de l’État islamique en repli n’y sont pas non plus étrangers. Enfin, que les Kurdes eux-mêmes ont leur part de responsabilités, passées et actuelles, plus préoccupés qu’ils sont par les problèmes de l’immédiate survie que par ceux de l’avenir de la planète. Qui le leur reprocherait ?
De la critique à l’action
L’agriculture, en Syrie du Nord, est écologiquement endommagée par la mono-culture du blé dans la région de Cizîre, de l’olive dans celle d’Efrîn qui s’est accompagnée d’une déforestation systématique et d’un appauvrissement des sols. À cet héritage syrien, s’ajoute la sécheresse, répétée d’année en année, liée au dérèglement climatique qu’un endiguement des rivières inadapté, des puits et un réseau d’irrigation endommagés par la guerre ou le manque d’entretien ne parviennent pas à compenser. Sécheresse aggravée par les rétentions d’eau opérées par des barrages en Turquie et le siphonage des eaux souterraines syriennes par les Turcs.
La réaction ne s’est pas fait attendre. Dès le début de la révolution, la distribution des terres appartenant à l’État syrien expropriées au profit des coopératives, terres à blé essentiellement, s’est accompagnée d’une obligation de diversification des cultures, du développement de l’élevage et de plantations d’arbres pour rétablir la diversité biologique et contribuer à l’autosuffisance alimentaire. Il s’agit d’établir un écosystème régulé par la diversité de la production et des modes d’exploitation raisonnés où sont parfois reprises d’ancestrales techniques de culture qui permettent, par ailleurs, de retrouver l’utilisation communautaire des terres.
On pourrait multiplier les exemples d’actions allant en ces directions notamment dans les coopératives agricoles et les services municipaux des parcs et jardins. Citons les pépinières agricoles qui ont pour but de fournir aux agriculteurs, aux agronomes des villes et aux simples citoyens pour leur jardin, un grand nombre de plantes, divers types d’arbres fruitiers (oliviers, grenadiers, pêchers, vignes), forestiers et décoratifs, des rosiers en particulier, et diverses plantes ornementales. La Commune internationaliste a créé sa propre pépinière. En 2018, ont été plantés 2 000 arbres et produits 50 000 plans pour contribuer à la reforestation tant des terrains de la commune que d’autres dans la région de Cizîre. Notamment, elle soutient le Comité du Conservatoire de la reforestation de la réserve naturelle d’Hayaka près de Dêrik, avec le projet de replanter 50 000 arbres en cinq ans sur les rives du lac Sefan.
Évidemment, ce processus de transformation vers une production agricole écologique rencontre des difficultés économiques, climatiques, politiques, voire une résistance au changement des habitudes. Contre leur volonté, pour assurer la production, des coopératives ou des agriculteurs sont contraints, faute de produits sains disponibles adaptés au sol local et à la sécheresse, d’utiliser des engrais chimiques qui polluent la terre, l’air et l’eau. Aussi, la Commune internationaliste propose-t-elle différents procédés naturels d’enrichissement des sols.
Un chantier sans limite
À l’agriculture écologique doit correspondre une industrie écologique, à l’idée de ne pas détruire l’environnement s’associe celle de ne pas piller les richesses naturelles (articles 9 et 11 du Contrat social). Ceci n’est pas une mince affaire quand elle concerne plusieurs millions d’habitants et que la ressource principale du pays est le pétrole. Aujourd’hui, le défaut de raffineries modernes contraint au raffinage artisanal polluant et dangereux pour la santé. Le Rojava n’a pas les moyens techniques et financiers pour éviter ces désordres dans l’immédiat mais, plus tard, la justice aura son rôle dans la construction d’« une société à la fois démocratique et écologique » (article 67). La loi lui en donnera les instruments et, d’ores et déjà, « les actions qui heurtent la vie sociale et l’environnement sont considérées comme des crimes » (article 68).
L’état des villes et villages laisse à désirer tant sur leur aspect esthétique que sur leur assainissement. Toutefois, un peu partout en Syrie du Nord, les municipalités et régions ont décidé d’y remédier avec des projets d’embellissement et par le rétablissement des infrastructures essentielles. Parmi celles-ci, la récupération et le traitement des eaux usées restent, pour la Commune internationaliste, une priorité, comme la collecte des déchets problématique tant dans les villes que les campagnes.
Pour tous les intéressés, la solution passe d’abord par un travail d’éducation de la population. Elle commencera désormais à l’école où les enfants seront éveillés aux questions écologiques par une pédagogie active, par exemple, en leur faisant cultiver un jardin qui ne sera pas une simple parcelle de terre mais un symbole de liberté et le désir de reconstruire après les violences de la guerre.
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En conclusion
Salvador Zana, ancien membre du comité économique du canton de Cizîre, constate que « l’une des critiques le plus souvent exprimées dans les conseils de l’autonomie démocratique et ceux de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord est le manque de développement écologique » mais que, malgré les principes et résolutions révolutionnaires, « l’économie n’a presque pas progressé pour devenir écologique et durable. La principale raison étant la difficulté de s’éloigner de l’agriculture industrielle dans les conditions actuelles de guerre et d’embargo ». Toutefois, la préoccupation écologique progresse dans la société. Il est, par exemple, observable que les bureaux de l’environnement des municipalités ou les départements de l’environnement régionaux agissent pour remédier à une situation par certains côtés catastrophique. Il reste que la Commune internationaliste du Rojava a encore bien du travail devant elle et de domaines à explorer, ce dont elle a conscience.
Make Rojava green again permet de comprendre, en quelques pages, le rôle phare de l’économie sociale et des coopératives pour contribuer à la construction d’une démocratie directe en Syrie du Nord. Démocratie directe que les institutions proto-étatiques de l’Administration autonome démocratique seraient tentées d’oublier tant elles sont absorbées par l’immédiateté d’assurer la sécurité et la vie quotidienne de la population, tant elles sont préoccupées par la situation géopolitique pouvant faire craindre, à tout moment, une invasion par l’armée turque ou celle d’Assad. Aussi, la Commune internationaliste appelle-t-elle à la solidarité internationale parce que « le monde peut apprendre du Rojava à bien des égards, mais le Rojava a aussi beaucoup à apprendre du monde ».
Pierre Bance
Note de lecture à propos de Make Rojava green again de la Commune internatio-naliste du Rojava, avant-propos de Debbie Bookchin, illustration et conception graphique de Matt Bonner, 1ère édition anglaise en 2018, édition française en 2019, 136 pages, 8 euros, diffusée par l’Atelier de création libertaire (BP 1186, 69202 Lyon cedex 01 (http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Make-Rojava-Green-Again.html)
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Pierre Bance, auteur d’Un autre futur pour le Kurdistan. Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique, Noir et Rouge, 1977, 400 pages.
L’ouvrage papier, épuisé, est disponible sous forme numérique auprès des Éditions Noir et Rouge au prix de 5 euros
Le lecteur qui souhaiterait connaître l’origine d’une information donnée dans l’article peut la demander auprès de l’auteur : pierre.bance@yahoo.fr
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