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Title 52
Des pratiques électorales aux USA
Ce qui frappe l'observateur des élections aux USA, et spécialement des si étranges élections présidentielles de 2020, c'est la complexité du système qui préside à l'expression politique des citoyens.
Scories laissées par l'Histoire dans la nomenclature des institutions des différents Etats qui composent l'Union, les noms des assemblées élues diffèrent souvent d'un Etat à l'autre. Les lois et règlement qui régentent les élections varient d'une entité à une autre : ce que l'Oregon autorise, l'Arizona ne le permettra pas.
La représentation des différentes parties de l'Union est égale dans le sénat des Etats-Unis d'Amérique, à Washington, démonstration de l'importance accordée à l'équitable représentation de ces entités politiques au niveau fédéral, qu'elles soient riches en population comme la Californie, ou pauvres, comme le Montana.
Cette situation reflète la volonté des législateurs qui organisèrent les nouveaux USA d'empêcher la domination de l'un de ces Etats sur les autres. Ils ne voulaient pas substituer une république autoritaire à l'empire de la monarchie britannique...
La place que devait occuper, dans le sein de la République nouvellement indépendante, les Etats issus des Treize Colonies de la Couronne, fut, on le sait, l'objet de débats constants et fiévreux tout au long de la première moitié du XIXe siècle. Cette question joua même un rôle important dans la crise qui aboutit à la Sécession des Etats du Sud, en 1861.
Au regard d'un Européen, accoutumé, depuis la vague de rationalisation administrative et de centralisation bureaucratique qui déferla sur son continent de la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, à un paysage politique unifié, ces variations et différences peuvent étonner. Elles n'en sont pas moins existantes et constituent le fond de la culture politique nord-américaine.
Il y a autre chose qui surprend l'Européen : la défiance des premiers législateurs des Etats-Unis d'Amérique vis-à-vis des systèmes électoraux. Car, s'il y a une chose qui déroute l'observateur, c'est bien la facilité avec laquelle, dans le cas d'une contestation touchant à l'équité ou la régularité d'une élection, les corps élus, soit les parlements des Etats, peuvent substituer leurs décisions à celles de la masse des électeurs.
Qu'est-ce qui a pu motiver cette désaffection à l'encontre du suffrage populaire de la part des magistrats éminents qui composèrent la constitution de cette république... ? Probablement l'expérience qu'ils possédaient des pratiques électorales dans le sein des General Assembly des Treize Colonies de la Couronne.
Car, oui, si ces entités coloniales dépendaient du roi d'Angleterre, du Conseil privé de la Couronne et du Board of Trade, toutes autorités situées à Londres, chacune d' entres-elles possédait une assemblée élue – élue au suffrage censitaire – qui gérait une partie des affaires de la colonie. Manifestement, les péripéties politiques qui agitèrent les Colonies, au XVIIe siècle, durent instruire les Pères de l'Indépendance quant à la fragilité potentielle de ce mode d'expression politique. De là viennent, très vraisemblablement, les nombreuses dispositions qui autorisent à contourner les résultats d'un vote censé présenter l'opinion de la masse du corps électoral si ce vote semble avoir été, de n'importe quelle façon, irrégulier.
Bernard Antoine Rouffaer
22.12.2020
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Franco et Louis XX
Entre indépendantistes catalans et exhumation de la dépouille de Franco, l'Espagne est durement rattrapée par les fantômes de son passé. Et j'en suis vraiment navré, car j'aime ce pays, son peuple, son énergie.
En 1940, donc encore largement de son vivant, le général Franco avait fait trimer des prisonniers politiques pour sculpter dans les rochers fantastiques de la Sierra derrière Madrid un spectaculaire monument, surmonté d'une croix de plus de 100m de haut, supposé incarner le Triomphe de la Religion sur l'impiété et le communisme. Il y fut enterré après sa mort, et vénéré depuis comme un demi dieu.
J'ai toujours pensé que l’amnistie décidée avec le retour de la démocratie en Espagne, en 1976, avait été la plus sage solution, à défaut d'être la plus juste. Un pays scindé en deux camps à peu-près égaux, irréconciliables parfois depuis près d'un siècle (car avant, c'étaient les luttes entre Carlistes ultras et la couronne), se devait de donner l'entière priorité à la réconciliation avant de chercher qui est méchant et qui est gentil, et tant pis pour le lot de souffrances et d'injustice ressentis chez les uns et les autres. D'ailleurs, ça a marché; la Movida et son exemplarité ont été à ce prix.
Amnistie ne signifiait cependant pas "poursuite d'une adulation" devenue très polémique, à juste titre. Il y a un fossé entre le pardon et la poursuite d'un traitement spectaculaire, au-dessus des autres humains, qui n'est justifié en rien et qui a enfin pour déplorable conséquence d'empêcher certaines plaies de se cautériser.
Franco, qu'on le déteste ou non, n'avait plus sa place dans un tel mausolée, a fortiori construit dans les conditions qui étaient les siennes.
Je note au passage, pour mes quelques amis-Facebook adulateurs réguliers de "Louis XX" que ce prétendant au trône de France, arrière-petit-fils du général, a lutté avec acharnement contre l'exhumation de son aïeul -ce qui pourrait se comprendre du point de vue familial- mais qui révèle surtout son impossibilité à incarner un rassemblement, à adopter une hauteur par-dessus les partis, à se distancier de ses intérêts personnels et intimes. A ce point, cela le disqualifie sans retour et classe toutes ses déclarations parmi les innombrables archives des bonimenteurs de la politique. En juillet 2018, avec un manque singulier de lucidité, le prétendant a affirmé dans la presse que "l'Histoire châtiera toute personne osant profaner ce temple grandiose".
Eric de Haynin 25.10.2019
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Madrid et Barcelone, les deux têtes de l'Espagne
Quelle est la source du mal espagnol ? Qu'est-ce qui pousse les Catalans à vouloir leur indépendance politique ? Ce mal a une date de naissance : 1707.
Le royaume d'Espagne, depuis son origine, a deux têtes. La naissance de ce royaume fut préparée par le mariage en 1469 de deux grands aristocrates, lhéritière du royaume de Castille, Isabelle, fille de Henri IV de Castille, et l'héritier de la Couronne d'Aragon, Ferdinand, fils de Jean II d'Aragon. L'union et non la fusion - de ces deux royaumes, unis par la tête en la personne de leurs souverains (union personnelle, pratique aristocratique européenne commune), a permis l'unification politique de la majeure partie de la péninsule ibérique. Tous les régimes qui succéderont à ce couple couronné - la monarchie des Habsbourg, la monarchie des Bourbon d'Espagne, la Seconde République espagnole (1931-1939), le régime de Franco (1939-1975), puis les gouvernements post-franquistes - lui doivent son étendue territoriale métropolitaine.
Dans la corbeille du mariage, Isabelle la Catholique apportait la Galice, la Vieille Castille, l'Estrémadure, la Nouvelle Castille et l'Andalousie. Ferdinand, lui, amenait le royaume d'Aragon, la principauté de Barcelone (dont le Roussillon), le royaume de Sicile, le royaume de Sardaigne et le royaume de Naples. L'un était puissant sur terre, l'autre puissant en Méditerranée. Le couple régnait sur le royaume d'Espagne, mais chacune de leurs possessions continuait, comme par le passé, faire usage de ses « libertés », à utiliser sa langue propre, à juger selon son droit particulier, à prendre les décisions le concernant directement dans le sein de ses Institutions traditionnelles. L'union était faite in persona regis (sur la personne du roi). Le royaume d'Espagne vécu sous ce régime durant plus de trois siècles, dont celui dit du « Siècle d'Or ».
Au terme du XVIIe siècle, avec la fin de règne prévisible du dernier des Habsbourg d'Espagne, Charles II, dernier de sa lignée, se posa, en Europe, la redoutable question de la « Succession d'Espagne ». Plusieurs compétiteurs firent valoir leurs droits. Le petit-fils de Louis XIV, Philippe, se présenta comme candidat des Bourbons. Charles, fils cadet de l'empereur d'Autriche Léopold Ie, se présenta comme celui des Habsbourg d'Allemagne. La guerre dite « de Succession d'Espagne » (1701-1714) qui s'ensuivit se déroula, en partie, sur le sol de la péninsule. Chaque aristocrate, chaque cité espagnole, pris parti. Barcelone choisit le camp des Habsbourg. Madrid celui des Bourbon. Le duc de Vendôme, par sa victoire de Villaviciosa (1710), fit triompher le camp de Philippe. L'affermissement de l'autorité de Philippe V d'Espagne, le Bourbon, fut le signal de durs changements.
Pour Barcelone, ce fut la chute.
Le Traité (d'Utrecht, 1713), qui mit fin à la guerre, accorda aux Habsbourg d'Allemagne les possessions espagnoles - aragonaises - d'Italie (Sicile, Naples, Sardaigne). Barcelone, elle-même, fut assiégée et prise en 1714 par l'armée de Philippe V.
Par les Édits de Nueva Planta (1707-1716), Philippe V réorganisa son nouveau royaume. Afin de punir une Barcelone partisane des Habsbourg, et pour suivre l'exemple unificateur et centralisateur de Louis XIV, le roi d'Espagne supprima les "libertés" des anciens royaumes et principauté, imposa l'usage de la langue castillane, celle, aussi, du droit castillan et centralisa l'administration du royaume.
Pour couronner le tout, Philippe V fit construire de redoutables forteresses royales au coeur des cités rebelles : Lleida et Barcelone. Le beau parc de la Ciutadella, à Barcelone, doit son nom à la forteresse qui occupait le site jusqu'au 1868. Louis XIV avait fait de même à Bordeaux, autre ville rebelle, où il fit reconstruire le Château Trompette, dans le même but.
Depuis cette époque, la Catalogne, plus gros débris de la Couronne d'Aragon, coeur vivant de son commerce et de son industrie, seconde tête de l'Espagne, rêve de relever la tête.
Bernard Antoine Rouffaer 31.10.2017
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