Dieu, le calife, le chien
Dans la nuit du 26 au 27 octobre dernier, dans le petit village de Barisha, sur le territoire syrien, à trois kilomètres de la frontière turque, à deux kilomètres d'un poste d'observation de l'armée d'Ankara en Syrie, une opération militaire américaine a mis fin à l'existence terrestre du calife de l'organisation « État islamique » (Daesh). Les commandos membres de la Delta Force, débarqués d'hélicoptères, ont joué le premier rôle.
Comme ils y sont accoutumés, les soldats de ces forces spéciales ont utilisé leur compagnon le plus apprécié dans ce genre de lutte sournoise et brutale : le chien. Un animal bardé de caméra, de capteur, de micro, de lunettes de protection, mais qui a conservé les qualités de son espèce, habitué qu'il est à combattre dans et pour sa meute : la loyauté et l'agressivité.
Appliquant une technique de combat mise au point en Irak, après 2003, les forces d'élites américaines exploitent autant qu'il est possible l'avantage que leur donne leur excellent équipement de vision nocturne : ils voient dans le noir le plus épais, ce qui constitue un avantage décisif face à des adversaires quasi-aveugles, qui ne peuvent faire usage que de lumière blanche ou de flammes. Le genre de lueurs, généralement d'origine électrique, que les membres des forces spéciales éliminent prudemment avant de monter à l'assaut... C'est là que le chien peut démontrer ses qualités.
Le rôle des chiens de combat est important dans de telles opérations: agiles, déterminés, se guidant au flair, rapides, petits, courageux, ils avancent rapidement là où le combattant humain est trop lent, trop gros ou trop prudent. Pour toucher une cible humaine dans le noir, il faut, d'ordinaire, viser haut ; le canidé est bas. L'histoire commune du chien et de la guerre est longue. On utilisait les chiens de combat, exemple parmi d’autres, au cours des guerres indiennes, en Amérique du Sud et du Nord, pour déjouer les embuscades forestières et traquer les guerriers amérindiens dans les fourrés épais.
Le président Trump a beaucoup insisté sur le rôle du chien nommé « K-9 » dans la mort du redouté chef Abu Bakr al-Baghdadi.
Il y a évidemment une raison particulière pour mettre ainsi en avant le rôle de ce chien: le caractère impur des canidés dans la civilisation arabo-islamique classique. Al-Baghdadi était calife, c’est-à -dire: successeur de Mahomet, et lieutenant de dieu – Allah – sur terre. Un calife, dans l'islam, vit en contact étroit avec son dieu, qu'il sert, dont il étudie les volontés en lisant les textes sacrés, et dont il attend un soutien dans son cheminement terrestre. Le calife de l' « État islamique » était, les commentateurs aiment à le rappeler, autoproclamé. Cela devrait, dans leur esprit, diminuer son importance. Mais Mahomet, le fondateur de l'islam, était, lui aussi, prophète autoproclamé… Donc, que le calife de l’« État islamique » - nom chargé de symboles, évidemment, bien plus pesant que celui choisi par Ben Laden pour sa propre organisation - ait été abandonné par son dieu au point d’être acculé au déshonneur ou au suicide, au fond d’un tunnel obscur, …et par un chien, animal impur, appartenant à des infidèles ennemis, en campagne sur un très ancien territoire musulman, est lourd de significations. Les autorités américaines ne pouvaient pas ne pas le souligner.
Bernard Antoine Rouffaer 29.10.2019
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