LIEN:
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Title 61
INTERVIEW Anne-Frédérique Rochat
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"Miradie"
de Anne-Frédérique Rochat
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L'INTERVIEW, par Orbis Terrae
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Orbis Terrae: L'araignée semble jouer un rôle important dans votre roman. Elle sert de catalyseur à la rencontre amoureuse. Pourquoi une araignée... ? Pourquoi ne pas avoir choisi un symbole romantique : une colombe, un cygne, deux pigeons... ? L'araignée crée une toile pour emprisonner ses proies ; le choix de cet animal reflète-t-il chez vous une peur de l'attachement ?
Anne-Frédérique Rochat: J’ai choisi l’araignée précisément parce que c’est un animal qui terrorise bon nombre de personnes. Miradie et Benoît se rencontrent sur une peur, une phobie commune. Et dans leur courte relation, ils vont s’effrayer mutuellement, mettant le doigt, sans le vouloir, sur les angoisses de l’autre. Pour Benoît, l’attachement. Et pour Miradie, l’abandon. Ce qui fait qu’ils ne peuvent pas se comprendre, comme deux aimants qui se repoussent. Je trouve que l’araignée leur va bien parce que leur aventure n’a rien de romantique. Miradie s’imagine des choses, mais en réalité, Benoît n’a aucun sentiment pour elle, il cherche juste à s’amuser, à se distraire. Ils ne sont pas du tout sur la même longueur d’onde.
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Orbis Terrae: L'amitié, entre un homme et une femme, peut-elle évoluer en amour ? Le doit-elle ? Le cas échéant, n'est-ce pas perdre ainsi quelque chose de précieux, de rare ?
Anne-Frédérique Rochat: Oui, je crois que lorsque l’on est aussi proches que Miradie et Patrice le sont, cela pourrait évoluer vers l’amour. On est dans une forme d’amour d’ailleurs. Ils sont sur le fil, tout près de basculer. Il me semble que Patrice serait prêt à prendre le risque, mais Miradie freine, ou plutôt, fait la sourdre oreille. Par peur de perdre quelque chose de précieux, exactement. Elle a peu de liens, d’amis, il est la personne qui compte le plus dans sa vie, il est son « être cher ». Risquer de s’aimer comme des amants, c’est risquer de tout bouleverser et de gâcher l’amitié. « Tout deviendrait alors si compliqué. » La relation amoureuse remettrait en question leurs habitudes (qui leur sont si chères), leur équilibre, et une forme de tranquillité. Et puis, il y a autre chose : ils se connaissent depuis le jardin d’enfant et leur relation a un côté fraternel. Le désir est là, par instants, fugace, mais leur grande proximité l’a peut-être un peu endormi.
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Orbis Terrae: L'amitié entre un homme et une femme - qui marque si intensément le début de votre roman -, si fragile, si menacée par l'attraction sexuelle, n'est-elle pas plus précieuse que l'amour ?
Anne-Frédérique Rochat: Pas forcément. D’ailleurs l’amour n’exclut pas l’amitié, au contraire. Je crois qu’il faut beaucoup d’amitié pour réussir une histoire d’amour. L’idéal n’est-il pas que le compagnon / conjoint / mari soit aussi le meilleur ami ? En ça, Patrice et Miradie seraient bien partis pour bâtir quelque chose de solide.
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Orbis Terrae: Vous décrivez l'impact d'un traumatisme subi dans l'enfance sur la vie amoureuse d'une femme. Cela a-t-il un rapport avec votre propre expérience ?
Anne-Frédérique Rochat: Non, ça n’a pas de rapport, mes romans ne sont pas autobiographiques, ils sont personnels, c’est-à-dire qu’ils parlent de sujets qui me touchent, mais jamais de ma propre vie. Les personnages fragiles, blessés m’intéressent ; et les répercussions que peut avoir un drame, une perte, sur une existence, également. Je crois qu’un enfant abandonné (en l’occurrence orphelin, mais la mort d’un proche peut être vécue comme un abandon) aura toute sa vie un rapport à l’attachement particulier, et c’est bien normal. J’ai eu envie, dans ce roman, de suivre une femme qui se liait trop vite et avait un tel besoin/désir d’amour qu’elle en perdait le sens des réalités et confondait pierre précieuse et pacotille. Peut-être souffre-t-elle de dépendance affective. Le roman est aussi une sorte de conte initiatique. Miradie doit se réconcilier avec sa solitude, ses manques, avant de pouvoir imaginer être avec quelqu’un. Et finalement, les souffrances qu’engendre sa relation avec Benoît la feront grandir.
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Orbis Terrae: Comment se porte votre peau ?
Anne-Frédérique Rochat: Ma peau va bien, je vous remercie. Mais c’est vrai que plusieurs de mes textes évoquent un rapport compliqué à l’enveloppe corporelle : plaques inexpliquées, peur de se désagréger ou arrachage de la peau des doigts ; cela exprime une difficulté d’être de mes personnages, un malaise. Le corps a son propre langage, il y a des maux, des douleurs qui racontent des choses, qui mettent des mots, justement, sur ce qu’on n’arrive pas à formuler. Et cela peut passer par la peau. Elle est la barrière entre soi et le monde. Miradie a de la peine à trouver la bonne distance avec les autres. Elle est une sorte d’éponge et manque de protections face aux attaques. Ce sentiment qu’elle a de « s’effriter », de perdre des petits bouts de chair pendant la nuit me permettait de parler de sa sensibilité de façon poétique.
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B.A.Rouffaer www.orbisterrae.ch
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Autres publications de Anne-Frédérique Rochat:
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Bibliographie
2018 : « Miradie », roman, Editions Luce Wilquin, Avin.
2017 : « La ferme (vue de nuit), roman, Editions Luce Wilquin, Avin.
2016 : « L’autre Edgar », roman, Editions Luce Wilquin, Aven.
2015 : « Le chant du canari », roman, Editions Luce Wilquin, Avin.
« Désir », recueil collectif de nouvelles, Editions Encre Fraîche, Genève.
2014 : « A l’abri des regards », roman, Editions Luce Wilquin, Avin.
2013 : « Le sous-bois », roman, Editions Luce Wilquin, Avin.
2012 : « Accident de personne », roman, Editions Luce Wilquin, Avin.
2008 : « Les éoliennes », pièce de théâtre, Editions l’ACT MEM, Chambéry.
« Apnée », pièce de théâtre, dans la collection « Théâtre en campoche-Enjeux », Bernard Campiche Editeur, Orbe.
2007 : « Propre en ordre », courte pièce de théâtre, Editions Zoé dans le recueil collectif « La Suisse côté cour et côté jardin », Genève.
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BIOGRAPHIE de Anne-Frédérique ROCHAT
Née le 29 mars 1977 à Vevey (Suisse), la comédienne Anne-Frédérique Rochat sortie du Conservatoire de Lausanne en juin 2000, se met rapidement à écrire des pièces de théâtre tout en continuant à jouer régulièrement en Suisse romande.
En 2005 et 2006, elle reçoit successivement un Prix à l’écriture théâtrale de la Société Suisse des Auteurs pour « Mortifère », puis pour « Apnée » (Théâtre en campoche, 2008). En 2007, « Propre en ordre » est publiée aux Éditions Zoé dans le recueil « La Suisse côté cour et côté jardin ». En 2008, sa pièce « Les éoliennes » est lauréate des Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre et publiée à L’ACT MEM, avant d’être lue au Théâtre du Rond-Point à Paris. La même année, ayant envie de s’essayer à un autre genre qu’elle aime et admire tout particulièrement, elle écrit « Accident de personne », son premier roman, publié aux Editions Luce Wilquin en 2012. S’en suivent, une fois par année chez la même éditrice, cinq autres romans : « Le sous-bois », « A l’abri des regards », « Le chant du canari », « L’autre Edgar » et « La ferme (vue de nuit) ».
A présent, elle alterne écriture narrative et dramatique (sa pièce « La Marina » a été montée au Théâtre 2.21 à Lausanne par la cie Interlope en 2017), trouvant un plaisir différent, mais complémentaire, dans l’exercice de ces deux genres littéraires. Elle est la lauréate du Prix Littérature de la Fondation Vaudoise pour la Culture 2016.
« Miradie » est son septième roman.
Le site web de Anne-Frédérique Rochat: LIEN
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Bernard Antoine Rouffaer www.orbisterrae.ch 2019
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