ORBIS TERRAE :
Erwan, l'un de vos deux héros, est kurde, et est un militant du parti PKK (Partiya Karkerên Kurdistan ). Le PKK est un parti que l'on peut décrire comme nationaliste, indépendantiste et révolutionnaire. Pourquoi avoir fait d'Erwan un militant du PKK, plutôt que de l'affilier à un autre parti kurde, moins contesté, comme le HDP ?
J.M. Morel:
Au risque de surprendre les lecteurs, on peut affirmer que le PKK n’est ni nationaliste, ni indépendantiste. Du moins, il ne l’est plus. Quant à être révolutionnaire, je pense qu’il faut définir ce que ce terme recouvre dans le contexte des Kurdistan syrien, turc et iranien où l’influence du PKK est grande dans la vie politique des Kurdes - et au-delà pour ce qui est de la Turquie, voire de la Syrie.
Créé en 1978, le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), d’obédience marxiste-léniniste de tendance pro-chinoise à ses origines, a abandonné cette idéologie en 1994. Il a aussi abandonné le souhait de créer un grand Kurdistan qui regrouperait l’aire ethnique et culturelle des Kurdes répartie dans quatre pays (Turquie, Syrie, Iran, Irak). Pas seulement parce que ce projet est certainement irréalisable mais aussi par refus de constituer au Moyen-Orient un nouvel état dont le nationalisme forcément exacerbé (moins de 40 millions de Kurdes dans un monde arabo-persan) deviendrait inévitable.
Le leader du PKK, Abdullah Öcalan, capturé au Kenya en 1999 par les services secrets turcs (MIT) - avec l’aide de la CIA et du Mossad israélien - croupit depuis bientôt vingt ans dans dans l’ile-prison d’Imrali. Après avoir lancé la lutte armée en 1984 contre l’état turc et, ensuite, avoir régulièrement proposé des trêves en vue de négociations,trêves qui ont été rompues unilatéralement par le gouvernement d’Ankara, il n’en a pas moins déclaré la fin des combats en 1998.
Non seulement, sous sa conduite, le PKK ne lutte plus pour l’unité des quatre Kurdistan mais, qui plus est, il ne demande pas l’indépendance duKurdistan turc (le Bakûr). Il réclame simplement une autonomie qui respecte l’identité des Kurdes dont leurs langues (il y en a trois), leurs coutumes et un mode d’organisation politique singulier de leur territoire, laissant à l’état central ses pouvoirs régaliens. Le PKK milite pour un système fédéral. Rien de plus, rien de moins.
Pour ce qui est de sa volonté révolutionnaire dans une région où fleurissent les dictatures, il faut la mesurer à l’aune de son projet de société.
Emprisonné et déjà convaincu que la lutte armée ne conduirait à rien, Abdullah Öcalan a nourri sa réflexion des écrits d’un penseur libertaire américain, Murray Bookchin. Dès lors, le projet du PKK turc, du PYD syrien et du PJAK iranien repose sur l’égalité des hommes et des femmes, la gestion paritaire de toutes les instances de décision, la lutte contre le patriarcat, les droits des minorités et le refus de la ségrégation selon son ethnie, sa langue ou sa religion mais aussi la laïcité, l’écologie, le développement de l’éducation et de la culture. Indéniablement, c’est un projet révolutionnaire.
Jusqu’alors, la Charte de la Fédération de la Syrie du Nord, composée des trois cantons du Rojava (Afrin, Djézireh et Kobané) est le document de référence qui exprime le plus complètement cette ambition démocratique, non-confessionnelle et faisant de la condition féminine le critère permettant d’évaluer la réussite du projet.
Avant que la guerre ne reprenne en Turquie en 2016 entre les forces gouvernementales et les miliciens du PKK, celui-ci avait déjà appliqué de manière embryonnaire ce « modèle de société ». La guerre sans merci menée par les Turcs, les emprisonnements des maires des communes,les multiples exactions à l’encontre des populations ont réduit comme peau de chagrin cette expérience.
Le dispositif organisationnel mis au point par les Kurdes pour faire valoir leurs droits est complexe, composé de nombreuses organisations. Le PKK est l’une d’entre elles. En Turquie, le HDP en est un autre.
Le PKK est d’abord une force militaire - même s’il ne refuse pas de débattre et de négocier l’avenir des 20% de Kurdes que compte la Turquie. Le HDP lui est un force politique qui ne s’exprime que par les urnes, les meetings où les manifestations pacifiques. Pour autant, il n’y a pas d’antagonisme entre eux. Le leader du HDP,Selahattin Demiras, est actuellement en prison. Candidat à la présidence de la république, il n’en menace pas moins Erdogan de ne pas être élu - du moins au premier tour et sous forme de plébiscite.
Concernant, les femmes et les hommes membres du PKK, il ne faut pas se tromper d’image. Ce ne sont pas des adeptes forcenés de la lutte armée, ni des soldats sans cause (comme on peut le vérifier dans le film de Zayné Akyol, « Gulistan, Terre de roses »). Une vie normale au service du bien commun dans le cadre d’une société démocratique leur irait très bien.
Dans les combats contre Daesh, les PKK a payé un lourd tribut. De par leur expérience, ses officiers étaient les plus à même d’encadrer les miliciens kurdes de Syrie, issus pour la plupart du monde paysan (le Rojava est le grenier à blé de la Syrie).
Comme Erwan,je suis convaincu qu’ils troqueraient volontiers le glaive contre la charrue. Mais comme le temps n’est pas encore venu, ils s’efforcent de faire ce qu’ils doivent faire. Sans fanatisme mais avec détermination.
Pour conclure, je dirais que je n’ai pas choisi Erwan : il s’est imposé à moi. Comme s’est imposé Leyland dont le rôle est de nous révéler par ses interrogations, son questionnement, sa naïveté et finalement par sa compréhension qui est son compagnon de cellule ainsi que les buts qu’il poursuit. Le tout dans le cadre d’un univers carcéral qui réduit le champ de vision, scinde le monde en deux (dedans et dehors) et d’une promiscuité non voulue qui conduit les meilleurs à vérifier l’axiome d’Albert Camus : « Un homme, ça s’empêche ».
En savoir plus sur "Retour à Kobané":
|