« INFO POPCORN Enquête au coeur des médias suisses »
Christian Campiche
Richard Aschinger
Eclectica
2010 Genève
Les vieux médias sont en crise ; la presse écrite en particulier. C'est l'apparition de cette crise - ses racines, son lent cheminement, puis son éclatement, à l'ère de l'Internet - que Ch. Campiche et R. Aschlinger décrivent ici. Cet ouvrage, au moment de sa parution, n'a pas semblé intéresser les médias de ce pays. Pure affectation, pudibonderie, hypocrisie : qui aime que soit présenté aux yeux de tous les coulisses d'un système... ? D'un système désormais malade.
Confrontée à de nouveaux médias, comme l'Internet, mais aussi à la concurrence de multiples chaînes de télévision, ainsi qu'à la crise économique - qui raréfie les ressources des annonceurs potentiels - la presse écrite voit la publicité la fuir. Les recettes tirées de celle-ci couvraient autrefois, au XXe siècle, les deux tiers ou les trois-quarts des besoins financiers des journaux. Ce n'est plus le cas : cette manne a parfois baissé jusqu'à 40 % seulement des recettes des entreprises de presse. Complication : les journaux gratuits, financés exclusivement par les annonceurs, attirent désormais une large part de cette ressource déclinante. Une telle concurrence interne à la branche, entre journaux gratuits et journaux payants, aggrave le mal. Cet état de fait a poussé les grands éditeurs à gérer de plus en plus leurs entreprises en vue d'une maximisation du chiffre d'affaires, et non plus en fonction de l'impact social, politique ou culturel espéré. L'argent prime le reste. Le grand journal hésite et s'interroge sur son rôle dans la cité.
Quand la publicité ne déserte pas, elle contamine les rédactions... A l'exemple de ces publicités slimline, mal présentées sous la forme de faux articles (p.36), qui, au grand dommage de la réputation de la presse écrite, atténuent la séparation entre articles rédactionnels et publicités payantes. Mais il y a pire : nos auteurs signalent un bel exemple de désinformation, donné par la NZZ, au sujet d'une étude effectuée par l'Université de Zurich sur le secret bancaire (p.25).
Une autre étude de l'Université de Zurich fit observer, en 2010 (p.57), que la « culture du [journal] gratuit », amenait une « croissance de la personnalisation, de l'émotionnalisation et de la boulevardisation des thèmes. »
Il n'y a pas que la publicité à fuir les pages de la presse, les petites annonces aussi. Aux USA, entre 2000 et 2010, les trois-quarts de cette manne est passée sur le Net.
Les auteurs se posent donc la question : si la toile prend autant de place, dévorant le temps occupé jadis par la presse écrite et la télévision, le salut ne viendra-t-il pas de sites web, avatars électroniques des publications sur papier ? Seul l'avenir y donnera réponse.
« Aujourd'hui, les « sales types » ont disparu des rédactions. Les hiérarchies ne tolèrent plus que des journalistes obéissants, propre en ordre. » (p.9) Dans notre pays, la Suisse, si hostile aux vagues, à la mauvaise réputation ennemie des affaires, est-ce si étonnant ?
Les licenciements de journalistes, la concentration des entreprises de presse et les disparitions de journaux ont rythmés ces 20 dernières années. Ainsi ont disparu La Suisse, le Journal de Genève, la Gazette de Lausanne, Facts, Cash, a échoué le Nouveau Quotidien.
Le journaliste, « communicateur ou chien de garde » ? Sur le Net, beaucoup de jeunes blogueurs, en 2019, ont répondu avec acidité à cette question. Et ils sont suivis par la grande masse de la jeunesse : ne sont-ils pas plus guère que 17%, désormais, a accorder créance aux grands médias... ?
Cette étude date de 2010. Nous sommes en 2019. Elle conserve pourtant toute sa force : c'est l'histoire, la description, en directe, d'un lent déclin, d'un naufrage, d'un changement d'époque. Une foule de noms, hier importants, respectés - de grands éditeurs, de rédacteurs en chef, de journalistes, de publications, de groupes - défilent devant les yeux du lecteur. Ils sont le témoignage de la vie qui passe et du monde qui change.
Bernard Antoine Rouffaer
5.8.2019
Article librement reproductible à condition de préciser l'auteur (Bernard Antoine Rouffaer), le site originel de publication (Orbis Terrae, www.orbisterrae.ch ) et la date de publication (5.8.2019).
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